La légende de la colline des petits pains de Hangzhou

Lorsque les troupes des Taiping attaquèrent Hangzhou pour la deuxième fois, elles assiégèrent la ville pendant deux mois de suite. Les soldats gouvernementaux des Quing, enfermés dans la cité et donc coupés de tout ravitaillement, avaient entièrement vidé la ville de céréales et auraient fouillé dans les trous de rats pour en découvrir un grain. 
 
La famine était insupportable et ils en souffraient tellement qu'ils enfoncèrent les portes des boutiques de sauces et de condiments, où ils dévorèrent tout: concombre salé, fromage de soja fermenté, sauce de soja, vinaigre...

Faute de mieux, ils pillèrent même les pharmacies et y prirent tout ce qui pouvait remplir leur estomac vide: igname, réglisse, angélique... A la fin, on ne trouvait absolument plus rien à manger dans la ville. Alors ces soldats, crevant de faim, les yeux ternes, s'étendaient çà et là sur la muraille, tout haletants.

A l'extérieur de la muraille, c'était un tout autre spectacle: dans les Dépôts sacrés (dépôts de munition et de vivres des Taiping) s'entassaient le grain et le fourrage. Venus des environs, groupe par groupe, les villageois apportaient sans discontinuer riz, légumes, porc, mouton pour réconforter les troupes des Taiping. A ce moment-là, sur une colline à l'extérieur de la porte Fengshan campaient dix mille soldats conduits par un général des Taiping qui avait pour tâche d'enfoncer la porte.


Un jour à midi, le commandant de l'Armée des Taiping vint là en tournée d'inspection. Il sentit une odeur fort appétissante, et demanda à un soldat qui se trouvait près de lui :
- Oh, ça sent bon ! Qu'allez-vous manger de bon à midi ? - Votre Excellence, on nous prépare des petits pains à la vapeur, farcis de viande de porc et de poireau, répondit le soldat.
- Combien de petits pains avez-vous chacun ?
- Oh ! on en mangera autant qu'on voudra.
Eclatant de rire, le commandant fit remarquer :
- Mes frères, quand on a de quoi manger, il ne faut pas oublier les souffrances de la faim.
- Soyez tranquille ! Nous n'oublierons jamais les paroles sacrées de notre Roi céleste:
"Que tous soient égaux en tout, que chacun mange à sa faim..."
Tout souriant, le commandant acquiesça d'un signe de tête et entra dans la tente où le général lui fit son rapport:
- On prépare des petits pains à la viande pour que nos frères mangent tout leur content. Après le déjeuner, battant le fer pendant qu'il est chaud, nous organiserons le nouvel assaut. Nous sommmes résolus à prendre la ville aujourd'hui !
Le commandant secoua la tête et dit :
- A mon avis, ce n'est pas la peine d'organiser l'assaut pour cet après-midi. Demandez à nos hommes de garder chacun deux petits pains, et qu'ils se rassemblent avec leur provision après le déjeuner ! J'aurai à leur parler.

Lorsque le général conduisit le commandant devant le rassemblement, flèche sur l'arc, couteau sortant de sa gaine, poings serrés, tous les soldats étaient prêts au combat. Le commandant prit la parole :
- Mes frères, les soldats Qing souffrent horriblement de la famine comme des poux affamés. A quoi bon se battre avec des gens comme eux ?
Les auditeurs se retenaient de rire, mais il continua:
- Ces soldats Qing sont nos adversaires aujourd'hui. Ils seront nos amis demain, lorsqu'ils ouvriront la porte et se rendront. Ils sont à l'origine comme nous de pauvres gens qui ont été opprimés par le gouvernement. Mes frères, nous annulons le combat de cet après-midi.
Ces paroles soulevèrent une discussion animée parmi les assistants. Les uns soutenaient le point de vue du commandant, les autres étaient sceptiques, comment pourraient-on prendre la ville sans combattre ?
le commandant expliqua :
- Mes frères, les soldats Qing sont si affamés qu'ils n'ont même pas la force d'ouvrir la porte pour se rendre. Nous mettrons de côté chacun deux petits pains pour leur donner à manger.


Quelle chose étrange! Epargner des vivres pour nourrir l'adversaire! Mais comment lui faire parvenir les petits pains puisqu'il était derrière la muraille? Le commandant eut une idée: il demanda aux soldats d'enlever la pointe de leur flèche et de la remplacer par deux petits pains. 
 
Sur l'ordre du commandant, une dizaine de milliers de flèches avec des pains embrochés filèrent par-dessus la porte Fengshan. Des soldats Taiping crièrent en même temps:
- Soldats Qing, mangez bien et ouvrez-nous la porte! Les pauvres ne se battent pas entre eux; à quoi bon vous sacrifier pour l'Empereur Xianfeng! Tuez les mandarins! Ouvrez la porte et venez manger chez nous des petits pains à la viande!
Les soldats Qing sentaient depuis un moment déjà l'odeur appétissante de la viande et du poireau. Et maintenant des pains leur tombaient du ciel. Les soldats affamés s'en emparèrent et les avalèrent avidement. Un soldat découvrit soudain que les flèches étaient sans pointe et s'écria:
- Regardez mes frères, les soldats des Taiping nous ont envoyé des pains avec des flèches sans pointe de crainte de nous blesser.
Quels braves gens! Révoltons-nous! "Révoltons-nous, REVOLTONS-NOUS!"

Un prend l'initiative, des milliers lui répondent. La porte Fengshan est ouverte la première, puis deux autres. Les soldats Qing descendent de la muraille, se précipitent vers leur caserne et y mettent le feu, brûlant dedans leur commandant qui avait commis toutes sortes de crimes.

Ils encerclent le siège de l'administration du préfet. Le rusé représentant de l'Empereur se voit obligé de se pendre dans les latrines.L'officier en chef des quatre portes de la ville est tué par les soldats révoltés qui ouvrent toutes grandes les portes et font un accueil triomphal aux troupes des Taiping à leur entrée dans la ville.

Les Taiping prirent ainsi facilement la ville de Hangzhou contre vingt milles petits pains à la viande. Depuis lors, on appelle le monticule où les Taiping firent leur cuisine "La colline des petits pains".

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